Rencontres
en chemin
Comme toujours aujourd’hui au désert, ce sont les puits qui sont dans le monde biblique les lieux obligés de halte où se noueront les plus belles rencontres, souvent des histoires d’amour.
Il y a d’abord Abraham qui envoie son serviteur chercher une femme pour son fils Isaac (Gn 24,10-27). C’est la soif providentielle qui le pousse à s’arrêter auprès du puits (v.11-20), où il trouvera Rébecca la promise (v.15-21). La rencontre se conclut par l’offre du gîte pour la nuit (v.25).
Scénario similaire pour Jacob: Gn 28,20 – 29,14. Celui-ci, inquiet du voyage à entreprendre, prie Dieu de le guider et de le ramener à bon port (28,20-21), puis il se met en marche (29,1). C’est au fameux puits dit de Jacob qu’il rencontrera Rachel abreuvant son troupeau (29,2-10). Les retrouvailles avec sa cousine furent tellement intenses qu’elle deviendra sa femme, après un séjour d’un mois chez son oncle.
C’est encore au puits que Moïse rencontrera sa femme: Ex 2,15-22. Fuyant Pharaon, il s’assoit près d’un puits en Madian (v.15 et relecture en Ac 7,29). C’est la rencontre agitée avec les filles de Réuel et les bergers (v.16-19). Invité à manger, Moïse séjournera là, en terre étrangère, et y épousera Cippora (v.20-21).
Parfois c’est Yahvé lui-même qui attend le voyageur au coin d’une source ou d’un puits : l’ange de Yahvé y rencontrera Agar pour lui annoncer une descendance, Ismaël (Gn 16,7-14).
Si le Pentateuque nous fait surfer entre ces principaux textes, comment ne pas penser aussi à la rencontre ultérieure de Jésus avec la Samaritaine au fameux « puits de Jacob » : Jn 4,5-15.
La tente est d’abord un abri pour le jour. Contre la pluie chez nous, contre le soleil chez les nomades de la Terre Sainte. Une très belle rencontre de jour sous la tente est celle d’Abraham accueillant ses trois visiteurs (Gn 18,1-16) : tout un programme d’accueil du visiteur reçu comme un envoyé de Dieu, qui nous invite à accueillir le pèlerin ou le passant ! Et Paul ne s’est pas trompé sur le prix de l’accueil dans sa relecture de l’épisode en Hé 13,2 : « par l’hospitalité, certains ont hébergé des anges ! ».
Et c’est Dieu lui-même qui n’hésite pas à venir s’installer sous la tente, pendant la longue marche de son peuple au désert : discret, certes, car seul Moïse pourra y aller lui rendre visite, un peu comme si c’était là la tente privée du chef de troupe ! Mais quelle tente, cette Tente de la rencontre (Ex 33,7), où se jouent les premières rencontres personnelles avec Dieu ! Elle restera plus tard comme l’objet mythique de la promesse divine (Os 12,9).
La tente des nomades est enfin aussi lieu de rencontres nocturnes, d’un autre genre d’intimité ! On épargnera aux lecteurs chastes le parallèle possible avec quelques camps-rando d’aujourd’hui… Ici il s’agit simplement de la rencontre amoureuse d’Isaac et de Rébecca après une promenade d’Isaac à la tombée du soir dans la campagne (Gn 24,62-67). Son voyage ne manque décidément pas de romantisme biblique…
Salutations
Aller
à la rencontre de :
La meilleure façon de rencontrer les gens en chemin, c’est encore d’aller à leur rencontre. Il est alors normal d’établir le lien par une salutation (2R 10,15 ; 1M 11,6 ; Mt 28,9), quand elle n’est pas l’objet même de la rencontre (1S 13,10 ; 1S 25,14).
Aller à la rencontre des gens sur les chemins est aussi une manière d’inviter, en particulier aux repas de fête (Mt 22,9-10). Coutume encore répandue dans certains villages au sens communautaire fort, mais qui peut aussi faire penser à la très belle manière de se saluer en tahitien : « Haere mai i Tama’a », littéralement « Viens manger ! ».
A fortiori le marcheur commencera-t-il par saluer l’hôte à l’entrée d’une maison qui l’accueillera pour la nuit (Gn 43,24-28 ; Mt 10,11-12). Mais il faut lire ici le petit livre de Tobie avec ses magnifiques échanges de salutations (Tb 5,10 ; 7,1 ; 9,6) et le récit de la rencontre et du mariage de Tobit avec Sarra sa cousine (Tb 6,10-8,9).
Salamaleks
:
Arrêts interminables dans le désert, nouvelles de familles inconnues, éternels « et untel, çà va ? » : les salamaleks échangés entre deux berbères se « croisant » en chemin auront dérouté plus d’un occidental pressé. On en a un vieil exemple biblique en 2R 4,26 et Gn 43,27-28. Mais si la mission est importante, et il est étonnant de trouver cette insistance dans la Bible et son milieu, alors l’homme de Dieu ne doit pas s’attarder en salutations (2R 4,29 ; Lc 10,4).
Quelques
rencontres-phares en chemin
Conversations
en chemin :
La
conversation se poursuit parfois en chemin (2R
2,11), l’un ou
l’autre t’accompagne un bout, sans autre but apparent que de faire causette, de
manière toujours déconcertante pour l’européen qui n’a guère l’habitude de
concéder plus qu’un « b’jour » ou un « grüss’r » à son
semblable. Parfois le groupe s’accroît spontanément d’un nombre incroyable
d’enfants, bienvenus dans l’Evangile (Mt
19,14-15).
Le chemin n’est pas toujours objet
de conversations édifiantes (Mc
9,33-34). Mais Jésus l’utilise pour pousser la conversation, sur son
identité par exemple (Mc
8,27). Et aux disciples d’Emmaüs en marche vient se joindre à la
conversation un quidam tout à fait particulier : le Ressuscité lui-même (Lc
24,13-15) !
Le
chemin - sacrement :
Il faut parfois aller au delà de la conversation : le bout de chemin fait ensemble peut être l’occasion à ne pas manquer pour se réconcilier (Mt 5,25).
C’est aussi en chemin que peut se vivre, ou se refuser, le sacrement du frère, idéalement illustré par l’histoire du bon Samaritain (Lc 10,30-34).
Et Dieu envoie l’apôtre Philippe sur une route déserte pour la rencontre inattendue d’un pèlerin lisant machinalement l’Ecriture. De là jailliront un baptême et l’ouverture du cœur à la Parole (Ac 8,26-40).
Chemin de conversion aussi que celui où Paul fût saisi par l’Esprit (Ac 9,3-19 ; 26,13).
Quand de telles célébrations
peuvent se vivre au hasard d’un chemin, qui a dit qu’il fallait aller
s’enfermer à l’église pour ‘recevoir’ les sacrements ?
«Le plus vieux mode de déplacement du monde est aussi celui qui permet le
contact.
Le seul, à vrai dire» Bernard Ollivier, «Longue Marche».
Le pied, instrument de la rencontre :
De Töpffer
à B. Ollivier les marcheurs l’ont dit : la
marche reste l’indispensable instrument de la salutation et de la rencontre.
Combien de fois ai-je fait l’expérience, à vélo, d’avoir croisé trop vite
quelqu’un, piéton ou cycliste avec lequel la « vitesse » nous permet
au mieux d’échanger un « salut » aussitôt envolé ? A fortiori alors en voiture, d’où de
l’intérieur seul on a quelque chance de repérer une connaissance, pour laquelle
on ne s’arrêtera sans doute pas… Faisons honneur à un chanoine du Grand St
Bernard, qui à l’occasion de ses 70 ans de sacerdoce répondait à la question
« Aux prêtres, que diriez-vous aujourd’hui ? » : « De
laisser l’auto au garage et d’aller à pied, pour rencontrer les gens ». Prenons
le temps, ce s’rait dommage de se croiser sans
s’rencontrer !