Contempler
« Tu
apprendras plus dans les bois que dans les livres. Les forêts et les rochers
t’enseigneront
des secrets que nul autre ne pourrait te révéler ». St Bernard de
Clairvaux.
Le marcheur biblique, qu’il soit brebis bêlante ou individu solitaire, n’aura pas manqué de louer Dieu pour sa création. Louange pour le joli coin où Dieu l’a mené se reposer (Ps 23,1-2), les montagnes (Ps 95,3-5), le temps et le silence (Ps 19,2-7) ou louange cosmique (Ps 148). Louange même de tout ce qui respire (Ps 150).
La littérature de Sagesse utilise alors les images puisées dans la création, l’analogie, pour faire contempler l’acte de création et son maître : Sg 13,1-5 ; Ps 19,2. Il n’est pas nécessaire d’avoir marché pour arriver à cette conclusion (Jb 42,2-3 ; Is 40,25-26…), mais expérimenter cette réalité dans la nature lui donne une dimension personnelle et transcendante qui dépasse tout discours. C’est tout le sens des mots les plus courants de l’Ecriture (terre, eau…) qui peut par exemple se trouver transfiguré par une rencontre palpable de ces réalités au désert. Et réciproquement le marcheur peut tomber en arrêt devant la rencontre dans le Livre de réalités familières : le randonneur des Alpes sait-il par exemple qu’il peut rencontrer dans la Bible bouquetins, chamois et autres marmottes locales (Dt 14,5 ; 1S 24,2 ; Jb 39,1 ; Ps 104,18 ; Pr 30,26), voire le gypaète (Lv 11,13 ; Dt 14,12) ? Sans parler de l’aigle qui rôde partout (entre autres Pr 30,18-19 ; Is 40,29-31 ; Jr 49,16…).
Ces moments d’extase, de contemplation muette, j’espère que nous les avons déjà tous vécus devant un paysage « à couper le souffle » ! Quand même le groupe, le compagnon de marche, et soi-même deviennent muets et louange à la fois, ce sont de ces instants magiques que deux jeunes marcheurs ont admirablement nommés les ‘instants Jubilate’ dans leur récit de traversée de l’Himalaya ‘La marche dans le ciel’.
Quand le transcendant saisit le marcheur dans la nature, la création devient signe. On est là proche de la contemplation actuelle en rando. Et quand l’homme parvient à nommer ce transcendant ‘Dieu’, la création devient sacrement et prière: « Loué sois-tu ô mon Seigneur pour toutes tes créatures ! »…
L’homme
Le marcheur lui-même :
Le marcheur en montagne peut être lui-même objet de contemplation : ainsi Isaïe admirant les pieds du messager joyeux (Is 52,7 et liens vers Na 2,1 ; Rm 10,15). Ou la bien-aimée admirant son compagnon qui accourt (Ct 2,8), et le bien-aimé admirant en retour la beauté des pieds de sa bien-aimée (Ct 7,1) !
« Heureux ceux qui ont persévéré ! » (Vestiaire du Gd St Bernard)
Contemplation de l’effort accompli :
Il y a aussi la contemplation au bout de l’effort (Ps 122,2 ; Ps 126), cette jubilation parfois intense de s’être surpassé et d’être parvenu au but, sans orgueil parce que l’on a parfois l’impression de ne pas l’avoir accompli seul ! Ainsi en Dt 8,7-18 le peuple hébreu reconnaît-il avec humilité que ce n’est pas par ses propres forces mais par celles de Dieu qu’il est arrivé au bout de l’épreuve de l’Exode. La satisfaction d’être parvenu à la Terre promise y invite tout naturellement à l’humble louange !
Les
merveilles de Dieu au désert :
Avant d’être loué comme créateur (Sg 13,5), Dieu est d’abord loué par les marcheurs bibliques pour les choses extraordinaires, un peu magiques, qu’il a accomplies, comme le don de la nourriture et de l’eau au désert (Dt 29,4-5 ; Nb 11,31-32 et 20,7-11 ; Né 9,15 et 9,20 ; Ps 105,40-41…). Le Deutéronome (Dt 8,10-18) et le psalmiste (Ps 78,11-38) invitent à relire ces évènements avec une humble attitude contemplative. Osée relit même l’Exode sous l’éclairage de l’amour de Dieu pour son épouse (Os 2,16-17).
C’est déjà un peu là le plaisir de revoir les scènes merveilleuses d’une expé, immortalisées en photos, des semaines ou des années après. Quand on ne se souvient déjà plus que des bons moments, ne faut-il pas y voir un petit « clin-Dieu » ?
Les Psaumes loueront aussi Dieu pour ses actions éclatantes, mais nous avons vu que les ‘marches contre’ associées étaient plutôt des marches forcées d’armées au combat. Certains textes guerriers (Jg 5,10-11 ; Is 30,29) invitent explicitement à chanter en marchant pour célébrer les victoires de Yahvé. On est cependant assez loin du « Chante et marche ! » de St Augustin !
Plus prosaïquement le marcheur loue aussi Dieu pour ses actions de protection (Gn 35,3 ; Ps 23,4 ; Ps 135), le bon déroulement du voyage (Tb 10,13 ; Ps 121,4-8) et son amour de tout instant (Dt 6,5-7 et 11,18-19 ; Ps 136)…
Dans le Nouveau Testament, on voit un lépreux revenir sur ses pas
pour rendre grâce de sa guérison (Lc
17,11-15), et les foules suivre Jésus dans l’émerveillement suscité par ses
miracles (Mt
15,29-31), prémices de la louange des foules rassemblées pour le festin des
noces finales (Ap
19,5-7). Tout cela est synthétisé dans la contemplation sur le chemin
d’Emmaüs de l’intervention de Dieu à travers l’histoire
sainte, qui réchauffe le cœur des disciples : Lc
24,32.
La gloire de Dieu :
Dieu « qui marche sur les hauteurs de la Terre » (Am 4,13 ; Mi 1,3) se donne enfin à contempler dans sa création pour sa gloire (Ps 19,2-7 ; Ps 93,4 ; Sg 13,5). Là est peut-être la vraie finalité de la marche, dans sa gratuité à double sens ! Nul besoin d’accomplir les mêmes prouesses que Lui : le Dieu qui marche est humble, et c’est le pauvre marcheur usé, courbé, fourbu qui lui rendra gloire : Ba 2,18.