Faire
halte
Une
nécessité ?
Le randonneur longue-distance risque d’être vite dégoûté en lisant la Bible : plusieurs personnages y ont accompli des marches héroïques sans repos ! Ainsi pendant son Exode, le peuple marchait jour et nuit sans fatigue (Ex 13,21 ; Né 9,19-21) ! Et pour cause : comme un Père, Dieu portait ses fils quand ils étaient fatigués (Dt 1,31) ! Mais cela ne les empêcha pas de mourir tous avant d’atteindre le but (Jos 5,6 ; 1Co 10,1-5). D’autres récits font par contre état d’étapes (Ex 40,36-38 ; Nb 33,2) que Dieu même s’occupait de trouver (Nb 10,33 ; Dt 1,33). Nous voilà rassurés !
Elie aussi marcha 40 jours et 40 nuits dans le désert montagneux sans se reposer (1R 19,8); mais il faut bien noter là qu’il n’y a là rien de surhumain, mais une autre action divine. En effet, juste avant cet épisode, Elie s’allonge d’épuisement sous un arbuste après une journée de marche (1R 19,4-7) ; et juste après son arrivée à l’Horeb, il se rendort dans une grotte (1R 19,9). Se reposer est donc bien une nécessité humaine et non une faiblesse de paresseux !
Sous
le soleil :
La marche est dure sous le soleil (Is 4,6 ; Is 32,2). C’est autour des puits que se font évidemment les haltes bibliques aux heures chaudes du jour, pour y boire, et parce que c’est le lieu des rencontres : ainsi pour le serviteur d’Abraham (Gn 24,11-20), Jacob (Gn 29,2-10), et Moïse (Ex 2,15). C’est aussi au puits de Jacob que Jésus éprouvera le besoin de se reposer à l’heure chaude (Jn 4,6).
En
cas de pluie :
La pause est bienvenue aussi en cas d’averse ou de tempête. On pourrait s’en étonner, mais cette crainte météorologique revient fréquemment en pays biblique (Is 30,29-30 ; Jr 10,13 = Jr 51,16 ; Si 40,13…), obligeant le marcheur à trouver une grotte (Jb 24,7-8) ou quelque abri de fortune (Is 4,6 ; Is 32,2).
Le
repos du marcheur :
Et puis il y a le très beau Psaume du repos gratuit, qui ne parle pas que du bon berger, mais aussi du bienheureux qui se laisse guider par lui vers les prés et les eaux du repos (Ps 23,1-3). Quel randonneur aujourd’hui pourrait rêver mieux d’un décor plus bucolique que de l’eau et de l’herbe fraîches pour faire la sieste ?
Hospitalité ou dessein de Dieu obligent, les pauses de jour au puits se concluent souvent par l’accueil pour la nuit au campement voisin, voire par un séjour beaucoup plus long (Gn 24,25 ; Gn 29,13-14 ; Ex 2,20-21).
En contexte sédentaire, on retrouve le même accueil dans le voyage de Tobie (Tb 8,20). Nul besoin alors de chercher le gîte, il est de l’ordre des choses naturelles dans le monde biblique d’être « hospité » (quel dommage que le français n’ait pas gardé ce mot !). Le voyageur individuel en fera peut-être encore aujourd’hui l’expérience déroutante en pays arabo-musulman !
Mais nul marcheur n’aura
sans doute rencontré la générosité de ce
couple qui va construire spécialement une chambre pour le voyageur dans lequel
ils ont reconnu un homme de Dieu: 2R
4,8-10. Dieu récompense toujours l’hospitalité offerte :
ici ce sera la promesse d’un enfant à venir.
Sous
la tente :
La tente comme logement standard du monde nomade a donné lieu dans la Bible a bien des images allégoriques, notamment celle de la « tente de Dieu » (Ps 27,5 ; 61,4-5 ; 90,1), plantée en son domaine, sa « sainte montagne », et réservée à « celui qui marche en parfait » (Ps 15,1-2). Le Dieu des palais accueille le marcheur modèle sous Sa tente !
Parfois, sans autre dessein particulier que la survie des marcheurs, c’est aussi la providence qui s’occupe de trouver le lieu idéal où passer la nuit. Ainsi en Dt 1,33 Dieu marchait devant son peuple pour lui chercher le gîte du soir. Souci dont bien des randonneurs aimeraient pouvoir se passer. Mais réalité parfois aussi : à force de patience, quel plaisir de tomber parfois inopinément sur le lieu le plus providentiel qui soit pour bivouaquer : cadre magnifique, bergerie accueillante (Jn 10,7) ou rencontre d’un hôte fascinant ! Larmes du pèlerin des fois devant l’accueil divin qui lui est réservé.
Au bord de l’eau :
Autrement, c’est tout de même l’eau qui guide le plus souvent le choix d’un lieu de campement pour la nuit : ainsi à Elim à l’ombre des palmiers et au bord de l’eau (Ex 15,27), ou le long du Tigre pour Tobie (Tb 6,2). Ici encore, rien n’a vraiment changé au désert : même si les chameaux peuvent transporter l’introuvable eau pour les hommes, on ne s’arrêtera pas avant d’avoir trouvé le pâturage minimum pour les bêtes. Mais il en est de même dans nos montagnes arrosées : le marcheur n’ayant pas toujours la capacité de porter en suffisance l’eau qu’il consomme abondamment, il plantera de préférence sa tente auprès d’un point d’eau.
Que de la caillasse !
Mais on ne tombe pas que sur des bivouacs idéaux en marchant. Elie passera la nuit dans une grotte (1R 19,9), abri de fortune toujours bien utile.
Mais parfois c’est carrément le ‘plan-galère’. Il faut improviser à la tombée de la nuit. Jacob bivouaquera à même le sol pierreux en un lieu quelconque (Gn 28,10-11). Mais de cette nuit à la belle (et bonne) étoile Jacob s’en tire quand même avec un songe remarquable, qui lui inspire cette formidable conclusion pour un bivouac en un lieu désert : « En vérité Yahvé est en ce lieu et je ne le savais pas ! Que ce lieu est redoutable ! Ce n’est rien moins qu’une maison de Dieu et la porte du ciel ! » (Gn 28,16-17). On comprend que la relecture de l’épisode par la Sagesse lui ait fait dire qu’elle « le guida par de droits sentiers » (Sg 10,10) !
Le Fils de l’homme lui-même, Jésus, n’a pas non plus où reposer la tête (Mt 8,20 ; Lc 9,57-58). En cela il se présente même comme plus dépourvu que les renards et les oiseaux qu’il peut rencontrer en chemin…
Ne pas savoir où l’on va dormir le soir peut être une inquiétude paralysante pour certains, ou le lot des mal lotis justement ; ce peut être aussi la source de liberté du marcheur. Jésus est de ces derniers, de ceux qui ne sont esclaves ni du lieu ni du temps, mais qui manifestent par leur liberté leur autorité sur ce qui emprisonne souvent l’homme (pensons aussi à sa maîtrise du sabbat et à sa distance par rapport aux biens et aux liens). Là où il aurait dû être rejeté, il n’hésite pas à s’arrêter deux jours à l’invitation des Samaritains (Jn 4,40). Il prend le temps de s’arrêter pour « demeurer » chez Zachée (Lc 19,5-6), pressentant son désir de l’accueillir. Malgré son souci de ne pas s’imposer, il prend aussi le temps d’accepter l’invitation des disciples d’Emmaüs à faire étape (Lc 24,28-29), « car il se fait tard », et surtout parce qu’il sait que dans l’accueil il y a une grande occasion de rencontre vraie. Merci à tous ceux qui accueillent, et sachons donner à nos haltes toute leur dimension !