La Marche
Où la
trouve-t-on dans la Bible ?
Approche classique :
Les mots « randonnée » et « trekking » étant malheureusement absents de la Bible, on ira chercher « marche » ou « marcher » dans la table thématique d’une Concordance.
Dans la Concordance des éditions du Cerf, on ne trouve pas ce thème en soi. Il faut donc déjà surfer un peu parmi les renvois aux thèmes voisins : « Marcher » renvoie à « Aller » et à « Chemin ». « (Faire) Route » renvoie aussi à ces deux thèmes et en outre à « Passer » (qui offre un lien éloigné avec notre thème pédestre) et à « Pied ». En première approche, nous pouvons donc cibler précisément notre recherche sur « à pied ».
« Aller » renvoie à de multiples sens : marcher physiquement ; se conduire, vivre ; aller çà et là, circuler ; parcourir ; marcher selon (sens moral) ; s’en aller ; aller vers quelqu’un ; faire route ensemble ; se mettre en route ; partir à la recherche de ; aller son chemin ; marcher devant (guider) ; quitter ce monde…
« Chemin » inclut une palette tout aussi large : aller par les places et rues ; préparer les sentiers ; suivre les traces (sens figuré) ; faire route ; direction ; voie (sens figuré) ; ‘Je suis le Chemin’ ; sens de la vie ; chemin du salut ; chemin de la paix ; la Voie (christianisme) ; conduite – genre de vie ; comportement ; s’aligner sur…
Le choix est donc extrêmement large et n’est jamais vraiment ciblé sur la marche à laquelle nous voulons restreindre notre étude, à savoir la marche pédestre au sens propre. Cette confusion apparente de sens reflète le fait qu’à l’époque biblique, marcher était le principal mode d’« aller », et le chemin l’itinéraire classique. Si aujourd’hui marcher n’est plus le mode de déplacement habituel et si la route a remplacé le chemin, il nous faudrait d’une part élargir le sens des mots bibliques à celui d’aujourd’hui (sans forcément perdre de leur symbolisme), et d’autre part pour notre étude restreindre le sens du mot ‘marche’ à celui qu’il aurait aujourd’hui en randonnée, à savoir un choix délibéré d’aller à pied, sur des itinéraires dédiés à cela, donc essentiellement dans des régions naturelles, montagneuses ou désertiques, et de préférence de manière autonome.
Nous ne pourrons nous permettre trop de digressions symboliques pour ne pas surcharger l’étude. Si la puissance symbolique des thèmes de la marche, de la voie, du guide… est extrêmement riche, de multiples traités y réfèrent déjà et nous ne pouvons donc évoquer trop longuement les sens métaphoriques de ces admirables images. Nous voulons prioritairement ici garder les pieds sur terre, l’un devant l’autre, pour de temps en temps mieux lever les yeux au ciel.
Dans la Concordance de la TOB, nous trouvons par contre « marche » et « marcher » en thèmes principaux, respectivement 42 et 340 fois dans la Bible, avec déjà une présélection de sens assez importante.
Cyber-approche :
Regardons maintenant l’approche en ligne par moteur de recherche. Elle peut sembler beaucoup plus rapide a priori puisqu’en une fraction de seconde nous trouvons les 432 versets contenant ‘marche’ ou ses dérivés de la Bible de Jérusalem. Cela donne encore le vertige, et Dieu sait qu’il n’y a rien de pire pour stopper net la marche.
Là aussi, nous pouvons commencer par une petite digression plus ciblée sur « à pied ».
Puis revenons à la marche proprement dite. Là le moteur de recherche ne nous dispense plus de l’énorme travail de ceux qui ont rédigé les concordances. On peut certes éliminer de la recherche les marchands et autres marchepieds, mais l’ordinateur ne fera jamais la distinction entre l’action de marcher et la marche d’escalier. De plus la question des multiples sens, propres et figurés en particulier, est encore plus ouverte. Pas d’autre solution que de passer en revue les quelques 400 versets relatifs à la marche… et de commenter brièvement les plus appropriés.
Au début de l’histoire biblique (Gn 1,20-30), tout glisse, grouille, rampe et vole. De la démarche de l’homme on ne sait même pas s’il est bipède ou quadrupède, mais il est appelé à dominer sur tout ce « Tohu-bohu » zoologique. On entend tout de même en Gn 3,8 des pas, ceux de Yahvé-Dieu qui se promène à la fraîche dans le jardin. A part lui, on sera surpris de noter que le premier être à marcher est le serpent, mais c’est là une condamnation et non une élévation (Gn 3,14) : « tu marcheras sur ton ventre ! ». Mais par cette condamnation à l’horizontalité, le serpent-Malin est déjà opposé à l’homme, appelé lui à la verticalité. Dans le Lévitique on retrouvera un dégoût prononcé pour tout ce qui touche à la marche sur quatre pattes (Lv 11,21 ; 11,27 ; 11,42…).
Mais la première mention de la marche comme condamnation la désigne-t-elle alors comme une punition (cf. Dt 28,62b-66) ? Il semblerait que dans la Bible ce soit plus précisément l’errance. Mais cette image rébarbative n’a pas forcément complètement disparu aujourd’hui… Les paradis eux-mêmes sont assez similaires en esprit au mythique Jardin d’Eden : on y vit la dolce vita faite d’insouciance, d’amour et de frais cocktails sous les cocotiers. Et l’on s’y déplace peu, ou alors en grosses voitures ou jets privés. Devoir aller à pied est, si ce n’est une humiliation, une contrainte du pauvre. Seule une certaine partie de la société occidentale a élevé la marche au rang de plaisir, comme échappatoire idyllique aux excès de la modernité… moyennant tout de même certaines exigences de confort !
Ceci dit, il faut attendre d’avoir quitté le paradis pour voir explicitement l’homme se mettre à marcher. Dans les premiers livres de la Bible, Hénok (Gn 5,22-24), Noé (Gn 6,9), Abram (Gn 17,1) et bien d’autres auront certes ‘marché avec Dieu’ ou ‘en présence du Seigneur’, expressions admirables mais où il faut lire le sens imagé de l’intégrité. On notera tout de même que s’amorce ici l’idée du compagnonnage dans la marche.
Ce n’est peut-être pas un hasard si la marche physique apparaît au désert, avec Abraham raccompagnant ses visiteurs (Gn 18,16). On a là un autre signe admirable de l’hospitalité d’Abraham : conclure la visite par un bout de chemin ensemble, parfois bien au-delà du pas de porte ! Aujourd’hui encore on peut se demander pourquoi de plus en plus de touristes ou de pèlerins vont s’exiler au désert pour redécouvrir le sens de la marche, quitte à reprendre la voiture dès leur retour pour aller s’acheter un paquet de clopes au tabac du coin ! Et certains auront peut-être fait l’expérience déroutante d’être parfois accompagnés sans raison sur des kilomètres par un enfant ou un vieux berbère, jusqu’à une bifurcation symbolique au milieu de rien. Un témoignage qui dépasse tous les obstacles linguistiques et religieux, pour aboutir à cet admirable adieu d’un signe de la main : « maintenant, c’est par là, tu peux aller seul ! ».
Longtemps après les débuts mythiques, l’homme devient en ces régions désertiques ce qu’il est encore 5000 ans après: nomade. Et ce sont les très belles histoires bibliques des ‘mises en marche’. Ces traversées du désert reflètent en journées de marche les longues distances à parcourir entre tribus : si ces distances sont souvent symboliquement de 3 (Gn 30,36 ; Ex 3,18 ; Ex 5,3 ; Ex 8,23 ; Nb 10,33 ; Nb 33,8) ou 7 (Gn 31,23) jours de marche, elles n’en restent pas moins assez réalistes de ce que fut le déplacement à pied avant l’ère de la promenade.
Le premier à se mettre symboliquement en marche est bien sûr Abraham, qui quitte son pays à l’âge de 75 ans (Gn 12,4 relu en Ac 7,3) ! Nomade parfait, il ira, de campement en campement, jusqu’au Négeb (Gn 12,9), puis la faim l’obligera à un gros détour pour l’amener en Egypte (Gn 12,10).
A sa suite, il faudra compter pour l’homme inquiet sur la protection de Dieu, gardien de ses pas, mais aussi sur l’eau, et c’est autour des puits que se feront les plus belles haltes, pour toujours nouer une rencontre… Citons la recherche d’une femme pour Isaac (Gn 24,10-21), le voyage de Jacob et sa rencontre avec Rachel (Gn 28,20 – 29,14), le séjour et le mariage de Moïse en Madian (Ex 2,15-22).
L’Exode, « la longue marche » par excellence, est d’abord le temps où Dieu va marcher avec son peuple. Histoire de l’apprivoiser et de tenter la rencontre. Dieu y est à la fois guide et compagnon de marche, marchant soit « en tête, devant » son peuple (Ex 32,1 ; Dt 1,33…), soit « au milieu de, avec » lui (Lv 26,12 ; Dt 31,8…), soutien paternel (Dt 1,31 et Dt 8,5) et intendant maternel de la troupe (Dt 32,11 ; Né 9,21).
Pourtant, pour ce qui est des hommes, l’Exode reste l’épreuve de la grande marche héroïque ! Ils ont marché pendant 40 ans (Dt 8,4 ; Dt 29,4), jour et nuit ; et comme tout marcheur surpris par la nuit le sait, sans éclairage on est vite coincé. Dieu fut alors lampe frontale (Ex 13,21) et soutien dans la marche (Dt 8,2-18 ; Né 9,11-21 ; Sg 10,15-11,2). Tout cela sans halte et sans fatigue, avec le même équipement inusable !
Grand surf ! La
grande marche de l’Exode (~1250 av. JC) relue à travers l’histoire par
de multiples auteurs ! : Bibliques : ° le livre des Nombres ch.9-25
et 33 :
deux itinéraires. ° les Psaumes 78
et 105
(~1000 av. JC) : pour ne pas oublier. ° Néhémie
9,7-21 (~440 av. JC) : pour
expier les fautes du passé. ° la Sagesse
ch.10-19 (~50 av. JC) : une
relecture spirituelle juive. ° le discours d’Etienne dans les Actes des Apôtres ch.7 (34 ap. JC). ° Paul dans une relecture spirituelle chrétienne 1Co 10,1-5 (57 ap. JC). Autres livres : ° Origène dans ses Homélies sur l’Exode (~230 ap.
JC). à ° Michaeli : Le Livre de l’Exode, commentaire de
l’AT (1974). ° Jean-Louis Ska : Le passage de la mer : étude
d’Ex. 14, 1-31. ° Un livre - controverse sur l’Origine égyptienne des
hébreux. à Horizons
modernes (2000 ap. JC): ° des commentaires
des lectures liturgiques catholiques de l’Exode. ° des commentaires protestants
(Darby) variés sur l’Exode. ° un commentaire rabbinique des passages
de l’Exode dans la Tora. ° l’Exode confronté à l’archéologie (par un rabbin). ° une fiche technique
d’exégèse biblique sur l’Exode. ° une animation -
marche pour jeunes sur le thème de l’Exode. |
Si vous n’avez pas encore quitté cette page, pourquoi ne
pas faire maintenant une petite halte
ou une pause casse-croûte ou rafraîchissements, quitte à reprendre la marche ici ensuite …
Marcher contre ou
selon Untel:
Vient ensuite - dans les livres de Josué, des Juges, de Samuel, des Maccabées surtout - une abondante mention (environ la moitié des termes ‘marche’ de la Bible) de la « marche contre » : il s’agit en fait d’une forme dévoyée de la marche qui désigne plutôt un mouvement de troupes ou une attaque belliqueuse d’homme à homme qu’une réelle action pédestre. De même les livres des Rois et des Chroniques abondent de « marcher selon » tel ou tel dirigeant : rien d’autre que des marches forcées…
On pourrait passer sous silence ces sens, mais je me demande s’il n’y a tout de même pas une curieuse coïncidence entre la quasi-absence de la marche réelle dans ce long morceau de l’Ancien Testament et la pauvreté théologique de ces livres et de cette époque. Comme une révélation en négatif de la valeur de la marche: peu de vraie marche, peu de révélation et de rencontres.
Il y a tout de même, me direz-vous, beaucoup de « marcher selon (les lois de) Yahvé » qui se mêlent aux expressions précédentes (cf. 1R, Ez, Ba par ex.). Mais le Dieu qui nous est présenté là n’est-il pas encore le dieu des armées, celui qui ne bénit qu’Israël en massacrant allègrement ses adversaires ? Le marcheur en montagne devrait-il alors louer Dieu parce qu’il l’amène lui seul sain et sauf au refuge, après avoir foudroyé et précipité dans les ravins tous les autres marcheurs ?
Je pense que nous pourrons retenir de cette profusion de sens dévoyés de la marche que la marche est une donnée tellement omniprésente à l’époque que le langage l’utilise à toutes les sauces. Aujourd’hui on utiliserait évidemment d’autres images, guère plus poétiques…
Malgré tout…
Malgré tout, il y a quelques vrais marcheurs de Dieu dans ces livres. La fin du premier livre des Rois raconte la belle odyssée d’Elie, forcé à fuir et à marcher 40 jours au désert : 1R 19,3-8. Faim, soif, fatigue mais aussi étonnant soutien de Dieu caractérisent un homme bien humain et déjà proche des prophètes-marcheurs ultérieurs (ex: Jon 3,2-4).
On se rapproche encore de cette époque avec un autre très beau récit de voyage, celui de Tobie : Tb 6,1-5 et suivants…Nous retrouverons ce sympathique personnage en compagnie de son chien (déjà fidèle compagnon de randonnée !) et du guide qu’il devra enrôler.
Les Psaumes avec leurs ambiguïtés et leur richesse développent aussi le thème de la marche sous des aspects divers. Mais quand il s’agit du juste, la marche est vraiment un modèle. Citons simplement le Ps 121 qui peut être considéré comme le Psaume du randonneur par excellence, celui que tout marcheur pourrait réciter pendant ses randonnées. Il le rejoint au concret de sa marche, l’accompagne, avec toujours cette idée d’un Dieu compagnon et protecteur. Même en pèlerinage, on pourrait le considérer comme une action de grâce ou une prière plus appropriée que des litanies de ‘Je vous salue Marie’… Les psaumes relisent toute l’histoire du peuple hébreu et font le lien entre ses deux grands déplacements : l’Exode et l’Exil.
Retour d’exil et pèlerinage:
On ne sait s’il s’est fait à pied, mais très probablement en grand partie : le retour de l’Exil à Babylone marque la fin du second Exode d’Israël. Il inspira les prophètes qui l’annoncèrent (Is 49,9-11) et les Psaumes (Ps 126 notamment). Il marque la joie et le soulagement dans les psaumes des montées (Ps 120-134), récités pendant le pèlerinage juif à Jérusalem qui s’en inspire.
On peut noter au passage que les références au thème du pèlerinage restent étonnamment rares à travers la Bible (Tb 1,6 ; Ac 8,27 ; Ac 24,11) quand le sens ne désigne pas plutôt le séjour ici-bas ou en exil (Gn 47,9; Ex 6,4 ; Ps 119,54 ; 1P 1,17). L’idée de culte rituel prédomine encore, et l’élévation de la marche au rang de pèlerinage prend forme beaucoup plus récemment dans nos esprits modernes, même si ses racines sont anciennes. On peut quand même voir à travers ce parcours sur ce simple mot comment l’Eglise elle-même s’est mise en pèlerinage à travers l’histoire…
Les prophètes l’avaient annoncé, notamment en lien avec cette restauration attendue d’Israël : « le boiteux bondira comme un cerf ! » (Is 35,6-9). La marche est exprimée en opposition au handicap comme prophétique, signe du salut : en effet ceux qui n’ont pas accès à la plénitude de la stature debout doivent souvent l’assumer sous le regard accusateur du péché.
Mais les liens vers l’accomplissement de la prophétie annoncent d’emblée l’oeuvre du Messie : casser l’amalgame péché-infirmité (Jn 9,1-3) pour proclamer le salut. Jésus et ses disciples, par divinité et par humanité, vont s’attacher à guérir l’infirmité : boiteux (Mt 11,5 ; Mt 15,31 ; Lc 7,22), paralytiques (Mt 9,2-7 ; Mc 2,3-12 ; Lc 5,18-25), impotents (Jn 5,7-12 ; Ac 3,2-9 ; Ac 14,8-10…). Les appels sont éloquents : du « Lève-toi et mange ! » (pour marcher) adressé à Elie fatigué (1R 19,5-8) on passe au « Lève-toi et marche ! », « Lève-toi, droit sur tes pieds ! » adressés aux infirmes ! Roland Bugnon montre dans son livre ‘Lève-toi et marche !’ comment ces appels nous rejoignent aujourd’hui.
Dieu va même plus loin : il ne veut pas seulement que l’homme se lève, il veut le re-lever, c'est-à-dire le ‘ressusciter’. Ce sera toute sa mission de salut mais il le met déjà concrètement en œuvre en re-levant et faisant remarcher la fille de Jaïre (Mc 5,41-42), Lazare (Jn 11,43-44) et Jésus lui-même (Mt 28,9-10 ; Mc 16,6-7 ; Lc 24,15 ; Lc 24,50 ; Jn 20,19 ; Jn 21,19-20).
Il est encore un handicap qui empêche la marche : la cécité. L’aveugle ne peut pratiquement pas se déplacer seul (Is 59,10). Dieu va aussi s’attacher à travers la Bible à le guider (Dt 27,18), même sur des chemins inconnus de lui (Is 42,16 ; Jr 31,8-9), ou mieux, à le guérir afin qu’il voie et marche (Tb 11,7-16 ; Ps 146,8 ; Lc 18,35-43 = Mc 10,46-52 ; Jn 9,1-41…) !
L’histoire est une marche où Dieu se révèle progressivement, comme un sommet au loin. Bien après l’Exode où il servait de flambeau aux hébreux dans leurs marches nocturnes, Dieu envoie en son fils celui qui est lui-même la lumière dans les ténèbres (Jn 8,12 ; Jn 9,5), pour le monde entier. Jésus apparaît dans les Evangiles à la fois comme marcheur et guide, et ceci ouvre toute une série d’images où Jésus revêt à la fois les attributs de l’homme marcheur et ceux de la Marche : il est à la fois l’agneau (Jn 1,29) et le pasteur (Jn 10,11-14) ; celui à qui il faut préparer des sentiers (Lc 3,4-5p) et le Chemin (Jn 14,6) ; celui qui ne sait où reposer la tête (Mt 8,20p) et la porte de la bergerie (Jn 10,7) ; celui qui a besoin de manger (Jn 4,8 ; Jn 21,12…) et le pain de vie (Jn 6,35s) ; celui qui a soif (Jn 4,7) et l’eau vive (Jn 4,13-14 ; Jn 7,37…).
Ce ne sont pas que des images : Jésus ne parle pas de la marche comme un téléspectateur joue au foot à la place des joueurs, depuis son fauteuil. Il s’est incarné dans la marche, et déjà Jean-Baptiste le pressentait (Lc 1,76). Il parcourra la Galilée, la Judée, la Samarie (Mt 4,23 ; Lc 17,11 ; Jn 4,4 ; Jn 7,1…), et chez Jean notamment, fera d’incessantes allées et venues avec Jérusalem (Jn 2,13 ; Jn 5,1 ; Jn 12,12 ; Mc 10,32p…). C’est là son but ultime et il ne s’en laisse pas détourner (Lc 13,33).
C’est avant la dernière montée que se déroule le bel épisode de Zachée (Lc 19,1-10). Jésus n’est plus qu’à une petite journée de marche de Jérusalem, mais il éprouve le besoin de faire étape. Il ne les brûle pas, il a d’ailleurs pris son temps et le chemin des écoliers pour venir depuis la Galilée : c'est que la marche manifeste aussi sa grande liberté !
L’aviez-vous remarqué ? Avec l’aveugle et Zachée nous marchons un temps pas à pas avec l’Evangile de Luc, qui se présente comme une ascension par étapes. Et nous arrivons au seul épisode où Jésus ne se déplace plus à pied : pour entrer dans Jérusalem il est à dos d’âne (Mt 21,6-9 ; Mc 11,7-9 ; Lc 19,35-36 ; Jn 12,12-16). Il fallait cela pour dire toute la royauté du Messie, et en même temps quelle humilité il conserve dans le choix de ce moyen de transport récalcitrant à quatre pattes, au rythme des foules l’entourant à pied !
C’est donc bien Jésus le sommet que l’on distinguait au loin depuis
les premiers départs et qui s’est petit à petit dévoilé à travers la
marche ! Un chanoine du Gd St Bernard l’a admirablement résumé dans sa ‘prière du pèlerin de
la montagne’, qui peut aussi accompagner vos randonnées : « que
je marche en espérance vers Toi, le plus haut sommet, … dans l’audace et
l’adoration ! ».
Les
apparitions de Jésus après sa résurrection sont un appel à prendre le relais (Mc
16,15p ; Jn
21,19), appel qui dépasse l’engouement de vocations suscitées par la
fascination de la vie de tel ou tel explorateur ou alpiniste. Jésus appelle à le suivre, pédestrement et symboliquement, et cela
lui est propre : dès le début il appelle ainsi ses disciples (Mt
9,9p ; Jn
1,43), avec les exigences d’abandon que cela implique (Lc
9,56-62p ; Mc
8,34p) ; il en fait le chemin du salut (Mt
19,21p ; Jn
14,1-6); et adresse même cet appel « suis-moi » à Pierre au
moment de disparaître (Jn
21,17-22).
Après
le départ du guide, le même appel est réitéré à Pierre, par l’intermédiaire
d’un ange, pour l’arracher du mauvais pas de la captivité (Ac
12,6-10). Le livre des Actes des Apôtres est en effet celui des missions,
où nul obstacle ne saurait longtemps arrêter les messagers
de la Bonne Nouvelle (Rm
10,15), jusqu’à la mort.
La dernière mention de la marche avec Dieu se situe en effet au delà de la mort, dans le Royaume : Ap 3,4.